L’Auberge Espagnole

En s’imposant 25-18 face à la Géorgie, le XV espagnol a sans doute réussi l’un des plus grands exploits de sa courte existence. Son succès, le XV del León le doit autant à sa cohésion qu’à son fonctionnement atypique. Rencontre avec un groupe “qui se régale à l’idée d’être ensemble.”

Loin de la période glaciale qui secoue la France, il fait beau en ce jeudi après-midi à Madrid. Le thermomètre frôle allègrement les 12 degrés, les lunettes de soleil sont de saison. Entre deux bâtiments de l’Université de Complutense, retentissent les décibels de “King Kuduro”. Tout en fredonnant ce tube à la mode, une vingtaine de jeunes sportifs se changent à même les tribunes pour aller tâter la “gonfle”. De rouge et de jaune vêtu de la tête au pied, ils se préparent pour une heure et demie d’entraînement dans leur “Estadio Nacional”, deux jours avant de recevoir la Géorgie dans leur “Tournoi des Six Nations”. Bienvenue dans l’univers du XV del León.

Loin du professionnalisme, des strass, des paillettes, et du sérieux qui entourent habituellement une sélection nationale, les 24 joueurs de la Roja ne cessent de se chambrer. Des taquineries qui n’ont rien de désagréable. Elle sont simplement le reflet d’un groupe qui vit bien. “Pendant l’entraînement, on reste sérieux, mais en dehors, l’ambiance est beaucoup plus cool, glisse Adrien Ayestaran, demi de mêlée de Périgueux. Attention, ce n’est pas non plus le Club Med !

Des psychologues militaires

Trois coups de sifflet du sélectionneur français Régis Sonnes sont là pour le rappeler. La stéréo passe en mode “off”, ce sont désormais les paroles du coach qui officieront comme douce mélodie. Deux petits tours de terrain en guise d’échauffement, et un orateur peu commun débarque sur la pelouse. Pas de survêtement ni de basket, mais un treillis militaire et des rangers: ton solennel oblige, ce commandant de l’armée exhorte son squad de rugbymen à se dépasser. “Cela fait partie de la cohésion que l’on doit gagner, détaille le sélectionneur. Les militaires nous apportent leur expérience pour motiver les gars. Il faut qu’ils se battent sur le terrain, quitte à mourir pour le groupe.”

L’interlude guerrier terminé, les ouailles de Régis Sonnes se remettent au travail. Toujours sous le soleil, mises en place tactique et brefs exercices physiques se succèdent. L’ancien joueur de Mont-de-Marsan met ses cordes vocales à rude épreuve. En cause, des mauvais placements, des fautes de main… foule de petits détails que le haut-niveau ne pardonne pas. C’est pourtant bien ce à quoi la FER (Fédération Espagnole de Rugby) prétend (voir encadré).

Un XV espagnol très “Frenchy”

Séance terminée, la musique reprend ses droits. Sous un air de flamenco, joueurs de la Roja débriefent. Se parler, créer des automatismes, ils en ont grand besoin. Car sur les 24 internationaux, seuls quatre d’entre eux dépassent la dizaine de sélections… Adrien Ayestaran, six capes au compteur, et Sébastien Ascarat, ailier du FC Auch et néophyte en la matière, le savent bien: “On a besoin de créer une grosse cohésion de groupe, autant sur le plan sportif que sur le plan humain”. Côté relations humaines, le XV del León s’improvise “Auberge Espagnole” où Français et Britanniques de naissance côtoient Ibériques pure souche.

De retour dans leur “chez-eux” – l’INEF de Madrid, soit l’INSEP local – la sérénade se poursuit. Et malgré la présence de 17 joueurs “Made in France” (du Top 14 à la Fédérale 1), la chansonnade s’écrit dans la langue de Cervantès et non de Molière. “On joue pour l’équipe d’Espagne, pas pour le XV de France, donc c’est tout bonnement une question de respect,” talonne Adrien Ayestaran, claquettes en main.

“Ca fait du bien aux tronches”

Délaisser la patrie de Serge Gainsbourg pour celle de Luis Mariano, s’est même imposé comme une évidence pour bon nombre d’entre eux. A l’image de l’auscitain Mathieu Peluchon, le “Jack Johnson” de l’équipe: “Mon grand-père était Espagnol, c’est une grande fierté de porter le maillot de la Roja.” Et ce, quitte à balbutier un peu la langue de son aïeul. Pour son comparse de la troisième-ligne Mathieu Roca, le plaidoyer est similaire. “Moi, c’est ma grand-mère qui est Espagnole. Quand Régis (Sonnes, ndlr.) m’a proposé, j’ai directement dit oui, j’y avais même déjà pensé avant, avance-t-il. Et puis, ça fait du bien aux tronches de sortir du train-train quotidien du club”.

Rompre les habitudes, telle pourrait être la maxime de ce stage. Loger en plein milieu de la plus grand cité universitaire de Madrid, les 24 internationaux font un retour vers leurs années étudiantes. “On est deux par chambre, et pas question de choisir notre compagnon de chambrée, raconte Anthony Pradalie, pilier pétrocorien. On nous place avec quelqu’un de notre poste.” Clape de fin pour ce jeudi, tout le monde au lit. Rendez-vous est donné samedi à 16heures.

De l’émotion, ACDC et “Bailar la bomba”

Quarante-huit heures plus tard, le soleil est toujours présent au-dessus de l’Estadio Nacional. Le décor est quant à lui tout autre. La bienvenue aux Géorgiens se fait cette fois sous le son de “Highway to Hell”, des drapeaux espagnols ont fleuri dans les bras des milliers de supporters présents. Ambiance…

Sur le terrain, sans doute un peu hautains et assurément surpris par la fougue ibérique dans le premier acte, les Géorgiens subissent la loi des lignes arrières de la Roja. Et regagnent les vestiaires avec un 18-8 dans le  besace après deux contres éclairs. Lors de la pause, le coach français exhorte ses troupes: ”On a une grande opportunité les gars, il ne faut pas la laisser passer”. Le message est pris au pied de la lettre. Forts au large, les Ibériques continuent d’abreuver leurs arrières de ballons de relance. Et à la 45ème, les plus de six milliers de personnes peuvent exulter après un essai de 80 mètres signé du centre Sempéré. La puissance du pack géorgien n’y fera désormais rien. Et ce malgré un réveil tardif en seconde mi-temps avec trois essais. En bons soldats, les hommes de la Furia Roja viennent de réaliser l’un des plus grands exploits du rugby espagnol en s’imposant 25-18 face aux grandissimes favoris géorgiens. Les ”Viva España” raisonnent dans les travées de Complutense. La pelouse est envahie par les supporters. Sonnes et ses joueurs ne contiennent plus leur émotion. Le XV del Leónde, sélection hétéroclite qui mène la vie de bohème en dehors du terrain, s’est offert un succès majuscule grâce à son sérieux et à sa maîtrise.

A peine remis de leurs émotions, les 24 comparses enchaînent conférence de presse et cérémonie officielle. Bien qu’ayant la sensation “d’avoir fait cinq matchs de Fédérale 1 d’affilée,” dixit le Stéphanois Sébastien Rouet, l’heure est au réjouissance. Pour le “Jack Johnson” espagnole, il faut désormais “Bailar la bomba dans les bars à tapas madrilènes. Quitte à suivre le dicton bonapartien, “Vaincre n’est rien, il faut profiter du succès”. Un militaire n’aurait su si bien dire.

Article paru dans le Midi-Olympique (édition du 13 février 2012)

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